dimanche 1 février 2009

La lettre d'une Résistante alsacienne

Source : http://68.snuipp.fr/spip.php?article1009

Dominique SCHWERTZ
Ecole maternelle d’Uffholtz Cernay le 15 janvier 2009
68700- CERNAY
à Madame Maryse SAVOURET
Inspectrice de l’Académie de Strasbourg
s/c de Madame SCHLUND
IEN de la circonscription de Thann


LETTRE (pdf)


Madame,
Le début de l’année est un temps de voeux…
Des vœux pour notre belle profession ?
Ce serait une amélioration de notre système éducatif, respectant tous les acteurs de l’école, tant les enfants que les enseignants, les parents que les élus, une amélioration faite dans la concertation pour un mieux vivre, un mieux apprendre, un mieux réussir.
Ce serait de la part de notre ministre, une profession de confiance et non pas ce mépris affiché, la reconnaissance de notre travail, et non pas la remise en cause systématique des enseignants, la mise en concurrence des écoles, des individus.
Ce serait de ne plus être la variable d’ajustement d’une politique qui vise uniquement à réduire le déficit public et, pour ce faire, entreprend les réformes opportunes à des suppressions de postes.
Le début de l’année est aussi un temps de résolutions tant personnelles que professionnelles, de décisions réfléchies permettant de mieux définir un nouveau cap.
C’est ainsi que j’ai pris la décision de ne plus me taire, de refuser ces trop nombreuses réformes faites sans aucune concertation avec les professionnels que nous sommes, ces mesures qui déstabilisent le monde éducatif, décontenancent les enseignants par leur nombre, leur rapidité de mise en application, les difficultés qu’elles induisent, ces mesures qui visent à déconstruire l’éducation nationale :
· Changement des programmes
· Réduction du volume horaire et suppression du samedi matin
· Aide personnalisée
· Suppression de postes de RASED
· Stages de remise à niveau
· Suppression de postes
· Mise en cause des maternelles
· Changement du mode d’évaluation
· Suppression des IUFM
· Droit de grève et service minimum
· Création des EPEP
· Accompagnement éducatif
· Création d’une agence du remplacement
· Réduction des moyens des associations complémentaires de l’école
· Réforme du lycée
· Bac pro en 3 ans
Cela fait beaucoup en 18 mois.

Je suis profondément attachée à l’école laïque et publique, celle qui met l’enfant et pas uniquement l’élève au centre de tout projet éducatif.
Mais aujourd’hui je suis en colère. Qui peut croire que toutes ces réformes prises à la hâte et sans aucune concertation visent à résoudre les difficultés des enfants, à améliorer le système scolaire, à définir en toute bonne foi l’école de demain ?
Je ne veux pas de cette Ecole. Elle va à l’encontre de tout ce à quoi je crois et que, tout au long de ma carrière, j’ai défendu avec conviction et ferveur.

L’article 28 de la loi No 83-634 du 13 juillet 1983 pose le principe hiérarchique d’obéissance du fonctionnaire dans les termes suivants :
« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »
Je considère aujourd’hui que les mesures mises en place sont certes légales puisque décidées par un ministre, mais qu’elles sont « de nature à compromettre gravement l’intérêt individuel des enfants dont nous avons la charge et donc à plus long terme l’intérêt public » :
Les nouveaux programmes représentent un retour en arrière sans précédent.
Montaigne disait : « Plutôt une tête bien faite que bien pleine ».
Durant mes trente années de carrière, tant en primaire qu’en maternelle, mon principal objectif a été, et est encore, de créer un climat favorable pour que les enfants soient heureux, enthousiastes de venir à l’école. Cette condition remplie, il était facile ensuite de les rendre acteurs de leurs apprentissages, de développer leur implication, leur curiosité, leur esprit de recherche, leur autonomie, leur envie d’apprendre, de progresser. Les nouveaux programmes font voler, au moins dans l’esprit du texte, tout cela en éclats : il s’agit aujourd’hui d’apprendre par cœur mais non de construire un savoir :
· savoir conjuguer un temps à l’imparfait, au passé simple, additionner, soustraire,….
c’est une bonne performance, savoir l’utiliser à bon escient c’est mieux.
· apprendre les règles d’orthographe, de grammaire, c’est essentiel pour écrire
sans fautes ; mais « entrer dans l’écrit » est-ce uniquement cela ?
· apprendre x poésies ou textes d’auteur, c’est bien ; repérer la musique de la
poésie, faire de l’enfant un acteur de son texte, c’est autre chose…
Et ce ne sont là que quelques exemples concernant « les fondamentaux ».

La suppression du samedi matin prive tous les enfants de 3 heures de classe.

Ces trois heures qui permettaient de « boucler » la semaine, d’organiser des ateliers d’expression, d’enseigner autrement, de mener à bien des tâches réservées au samedi matin.
Ces trois heures qui me manquent aujourd’hui dans ma classe et ne permettent pas, entre autres, aux enfants les plus lents de terminer en toute quiétude un travail. Ces trois heures qui, par leur absence, génèrent tout au long de la semaine un stress, voulant faire en 24 heures ce que l’on faisait en 27. Ces trois heures qui permettaient aussi de rencontrer les parents autrement qu’entre deux portes.

Aide personnalisée.

Elle oblige les enfants les plus en difficulté à faire plus d’heures que leurs camarades, alourdissant ainsi leur journée, alors qu’ils sont plus fatigables que d’autres. Mais surtout, elle sert de prétexte à la suppression de postes de RASED, laissant aux seuls enseignants le soin de répondre aux difficultés des enfants. Comme tous les enseignants, j’ai toujours essayé d’améliorer ma pratique pour répondre aux enfants en difficulté, pour les faire progresser, les amener à avoir davantage confiance en eux. Nous ne pouvons, à nous seuls, résoudre toutes les difficultés ; certains enfants ont besoin d’une aide dispensée par des enseignants spécialisés qui ont été formés pour cela.

Stages de remise à niveau.

J’ai eu pendant 15 ans des CM1 et des CM2. Je ne puis croire que quelques stages de remise à niveau permettent à des enfants de CM1 et de CM2 de « rattraper » des retards accumulés au cours de toute leur scolarité primaire. Ce sont des enfants en échec depuis trop longtemps, qui ont perdu confiance en eux, dont les acquis sont fragiles. Ce ne sont pas deux semaines pendant les vacances scolaires avec des enseignants qui ne connaissent pas leur parcours, qui vont pouvoir les aider ; ces mêmes enfants devraient pouvoir bénéficier d’une aide pendant le temps scolaire. Mais cela nécessite des moyens supplémentaires…

Suppression de postes.
Comment croire que toutes ces suppressions vont permettre de répondre aux difficultés des enfants ? Ma classe compte cette année trois sections et 27 enfants. Il est difficile de travailler dans ces conditions de manière optimale, de tenir compte de chacun d’eux en leur accordant un minimum de présence et d’attention individuelle, de leur transmettre des savoirs, d’évaluer ceux-ci, et de répondre aux difficultés de certains.

Mise en cause de la maternelle.

Ces maternelles que le monde entier nous envie, sont menacées de suppression partielle. Cette menace, le mépris du ministre vis-à-vis des enseignants de maternelle poussent à la révolte. Cette apparente méconnaissance de ce qui se passe dans l’école de la République est sidérante.

Suppression des IUFM.
L’intégration des IUFM dans les universités va priver les futurs enseignants d’une réelle formation pratique et professionnelle.

Evaluations.

Le calendrier des évaluations s’est fait dans la hâte ; nous n’avons pas même le temps de mettre en application les nouveaux programmes que déjà, il faut évaluer nos élèves, notre pratique. Pour les CM2, en milieu d’année ! Quel est le bien-fondé d’une telle évaluation ? Quel est l’intérêt à transmettre des résultats partiels puisque tout le programme n’aura pas été abordé ? A quoi vont bien pouvoir servir ces résultats ? A mettre les écoles en concurrence et ainsi accroitre la défiance ? A justifier et à imposer encore de nouvelles réformes ? A libéraliser la carte scolaire ? Durant ma carrière, j’ai vécu maintes réformes. Elles ne m’ont jamais semblé, comme celles-ci, mettre en péril notre école. Elles avaient pour mérite de mettre l’enfant au cœur des apprentissages. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Et l’institutrice que je suis, ne peut plus, ne veut plus se taire.

Je ne supporte pas d’assister sans broncher au démantèlement de l’école de la République, à l’accroissement des inégalités, à la précarisation de notre métier, à la remise en cause permanente des enseignants, de leur professionnalisme, de leur formation. Je ne supporte plus l’hypocrisie du discours qui marie sans complexe la soi-disant amélioration du système éducatif et la suppression des postes et des moyens. Aussi, je refuse
· d’appliquer les nouveaux programmes : je me conformerai à ceux de 2002, plus riches, plus précis,
· d’assurer des stages de remise à niveau,
· de dispenser l’aide personnalisée : à partir de septembre, j’accueillerai en soutien tous les enfants de ma classe ; cela me permettra d’assurer des activités rendues cette année impossibles à cause de la diminution horaire (aide individuelle, danse, orientation, confection du cahier de vie, du cahier de littérature, musique),
· de transmettre les évaluations GS : elles seront faites en temps voulu mais je me réserve le droit de les utiliser pour remédier aux difficultés de mes élèves. D’ailleurs nous ne sommes pas payés pour la passation de ces évaluations, comme le sont les enseignants de CE1 et de CM2 ; il est vrai qu'il ne s'agit pas d'évaluations nationales mais cette différence justifie-telle cela ?
Aucun enseignant n’est hostile aux réformes. Elles sont par essence même nécessaires. Il y en a eu de nombreuses auxquelles nous avons adhéré. Elles nous ont permis de prendre de la hauteur, de réfléchir à notre pratique, de la faire progresser et ainsi de répondre aux défis qu’elles lançaient. Mais « Réformer » ne peut pas se faire au pas de charge ; il faut non seulement le temps de la réflexion pour que chacun s’y sente associé, respecté, et non pas contraint, mais aussi la reconnaissance du travail déjà accompli. Pour l’heure, si j’avais un vœu à exprimer, je souhaiterais un abandon des mesures citées ci-dessus, et l’ouverture de réelles négociations avec l’ensemble des partenaires de l’école (enseignants, syndicats, fédération de parents d’élèves, élus, collectivités). Cela n’étant, pour le moment, pas le cas, je me réserve le droit d’informer les enseignants, les parents, les élus, des risques de ces mesures et de leurs conséquences. Veuillez agréer, Madame l’Inspectrice d'Académie, l’expression des mes sentiments les plus respectueux.
Dominique SCHWERTZ

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