vendredi 5 juin 2009

Au petit peuple des RASED

Lien : Un texte de Jacky Poulain
enseignant spécialisé, RASED Sallanches 74



Récapituler...


« Nous marchons, vous marchez, ils s’en foutent... »

(un « blogueur », dans Libération)

Nous ne sommes et ne serons jamais déçus qu’à hauteur de nos illusions.
Et pour beaucoup, nous tombons de très haut - la douleur, l’amertume en sont vives.
Nous tombons de très haut... car ils sont vraiment tombés très bas !
« Ils » : cette majorité, ce gouvernement, ce ministre dit de l’Education :
Ignominies, cynisme, mensonges, mépris : les masques sont tombés, une droite dure applique une politique de droite, dure :
L’école républicaine est menacée comme jamais probablement :

« L’école de la République est en danger. Jamais un gouvernement n’avait osé porté des coups aussi sévères contre elle au point de l’ébranler dans ses fondements. Une école est en train de disparaître sous nos yeux »

Ces derniers mois, notre colère fut grande, passée l’incrédulité, les manifestations imposantes...
Par dizaines de milliers, des pétitions furent signées ; par centaines de milliers, des parents, des enseignants, des étudiants ont battu le pavé, avec l’espoir légitime d’être enfin entendus.
Rien n’y a fait :



Nous signons, vous signez, ils s’en foutent...

La nature et le degré des mobilisations furent extrêmement variables selon le sujet, le moment, le milieu concernés.
Un foisonnement d’initiatives s’est fait jour au plan local, régional, national. Au point de s’y perdre parfois.
La profusion des collectifs est venue peut-être dire deux ou trois choses :

* Il était pressenti que les actions syndicales même unitaires ne constitueraient pas des réponses à la hauteur des enjeux ;
* en absence d’une centralisation rapide des actions au plan national, profusion valait dispersion, foisonnement vaudrait dilution...

La radicalisation des actions massives n’a jamais pu atteindre le niveau des attaques répétées, diversifiées contre l’école et les RASED en particulier.

Au pouvoir politique de jouer alors la montre, le pourrissement en lâchant 2 ou 3 leurres (ah, la fumeuse « sédentarisation » des 1500 !)

Le bras de fer a tourné court, lentement mais sûrement :
Dans les faits, les RASED sont moribonds, 3000 enseignants spécialisés des RASED voient arriver la fin de leur dernière année scolaire dans leur fonction actuelle. Environ 150 000 enfants en grande difficulté à l’école seront privés dès la rentrée prochaine de cette précieuse ressource, presque autant de familles et d’enseignants : triste réalité que ne viendront pas maquiller les oripeaux de « l’aide personnalisée » et autres « stages de remise à niveau »...
Le renoncement est sensible à tous les niveaux : les centrales syndicales en sont réduites à négocier des queues de cerise au Ministère, et la page se tourne, la page est tournée.



Nous tournons, vous tournez, ils s’en foutent...


Ces cortèges imposants, ces pétitions record (on rappellera ici que la pétition « RASED » a rassemblé le double de celle initiée autour de « pas de zéro de conduite... » !) pas plus que les actions symboliques (ces « rondes des obstinés... ») n’auront fait reculer d’un pouce Darcos/Fillon/Sarkozy...

Darcos dont on redira ici les accointances avec l’idéologie de la droite extrême.

Qu’on relise donc « Main basse sur l’école publique » (Khaldi et Fitoussi), où l’on démontre en quoi le ministre de l’Education « entend saper les bases de l’école publique républicaine et pousser peu à peu les classes moyennes et supérieures vers le privé », allant puiser ses idées dans un vivier idéologiquement marqué, empruntant aussi bien au Club de l’Horloge (extrême-droite) qu’à l’Opus Dei... C’est dire le progressiste qui sommeille vraiment très, très profondément chez notre ministre...
On rappellera encore que Darcos, en 92, alors inspecteur général de l’Education Nationale, fondait avec quelques hauts fonctionnaires du ministère « la très droitière association “Créateurs d’école” » (id).
Selon les mêmes sources, Dominique Antoine, ami de Darcos, adhérent de cette association, est actuellement conseiller à la Culture de Sarkozy ; Maurice Quinet, autre adhérent de « Créateurs d’école », est devenu recteur à Paris...
Le Canard Enchaîné s’était fait un plaisir de redire au sujet du Club de l’Horloge que cette « boîte à idées de l’extrême droite rêvait de l’intégration du Front National dans une alliance de gouvernement »...

Ces quelques rappels pour redire - mais est-ce vraiment utile ? - qu’un projet éminemment politique est à l’œuvre, sous forme de rouleau compresseur, alliant les milieux ultra-conservateurs à l’aile la plus libérale de la droite.

Quelques symboles forts sont venus malgré tout maintenir une flamme vacillante dans ce crépuscule annoncé.
C’est ainsi que quelques centaines, quelques milliers d’enseignants sont entrés en « résistance », ont affiché publiquement leur désobéissance à une hiérarchie souvent servile.
Malgré les menaces, les pressions, les sanctions.

Tenant un peu la bougie, Alain Refalo, professeur des écoles, invité le 17 mai au Plateau des Glières en Haute-Savoie, où se tenait un rassemblement « Paroles de résistance », auteur de la lettre « Je refuse d’obéir » :

« Il est des moments dans une existence où le silence devient complicité avec l’injustice. Il est des moments où obéir passivement et appliquer les lois et les décrets sans discernement constituent un reniement profond des valeurs qui nous animent. Il est des moments où la désobéissance devient inéluctable... Il nous est rappelé que nous devons être des fonctionnaires obéissants, nous avons fait le choix d’être des fonctionnaires responsables, lucides, comptables de nos actes. Nous savons, même si comparaison n’est pas raison, que l’obéissance inconditionnelle aux ordres des supérieurs peut aboutir aux pires situations d’injustice. Ce qui veut dire qu’un fonctionnaire doit être un homme avant d’être un sujet, un homme qui obéit aux exigences de sa raison et de sa conscience avant de se soumettre aux ordres et injonctions de l’Etat. »

Voilà très clairement posée la question de l’avenir, en particulier celui de nos convictions !
Qu’allons-nous faire de nos illusions, de nos désillusions ?

Refalo, encore :

« (... ) Sans l’espérance d’un a-venir, nous sommes condamnés de façon certaine à subir un aujourd’hui qui prépare des lendemains qui déchantent ! Nous n’avons plus le choix. Aurons-nous l’audace de résister aux forces conservatrices qui véhiculent l’idée d’une éducation soumise à la loi du marché ? Aurons-nous l’audace de refuser une école de la discrimination, de la compétition et de la sélection ? »


Ne pas capituler.



« Ce n’est qu’un combat, continuons le début »...

En retournant plaisamment le slogan, l’humoriste invitait ainsi non pas à freiner nos ardeurs militantes, mais sans doute plutôt à en limiter l’emballement aveugle (ces « Tous ensemble, Tous ensemble !!! » enfiévrés..., ces forêts de drapeaux fièrement brandis les jours de défilés..., mais ces gueules de bois terribles, les lendemains qui déchantent...).

Il va s’agir pour tous d’organiser, de structurer cette résistance qu’on appellera ici - faute de mieux - « citoyenne » : les « fronts » ne manquent pas, malheureusement !

L’extrême-droite française ne renierait pas un certain nombre des orientations politiques du pouvoir actuel : on s’accorde à le reconnaître pour la Justice, l’Immigration, le Tout-sécuritaire,... on oublie peut-être un peu vite que le raisonnement peut s’appliquer aussi à l’école !
« Comparaison n’est pas raison », sans doute, mais l’Histoire nous invite à tirer les leçons de ses plus sombres épisodes et peut-être celle-ci :
« Le totalitarisme n’aurait pas triomphé s’il avait trouvé sur sa route davantage de gens “disposés à tenir bon” » (D. Rougemont).

Nous n’en sommes sans doute pas là ; mais les dérives de cette droite au pouvoir incitent (au minimum !) à la vigilance de chacun car « la puissance du totalitarisme n’est que la somme exacte de nos lâchetés particulières » (id.).

Là où nous serons, où que nous soyons.
Tenons bon...

Le 1er juin 2009
Jacky Poulain

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